vendredi 6 octobre 2017

AMENRA
Mass VI
20 October 2017
Les contrastes les plus profonds ont de tout temps été au coeur même de la musique d'Amenra, depuis que le groupe a commencé à psalmodier ses Prières et à tenir ses Messes, voici maintenant déjà dix huit ans. Les ténèbres tourmentées y ont toujours co-existé avec une beauté lumineuse, et les impacts de foudre avec des subtilités fragiles et délicates. Des chansons qui semblent au départ engloutir le monde entier paraissent soudainement vous être murmurées dans le confinement du ventre maternel.

Après la longue attente d'une nouvelle Messe, cette Mass VI est enfin bien réelle, prête à consumer et à se consumer, et elle-même s'apparente à une épée à deux tranchants. D'un côté, bien que le titre Nowena | 9.10 quiclôturait Mass V semble “terminal” dans toutes les acceptions du terme et qu'il sonne comme la bande son de la fin du monde, nous avons toujours faim de nouveux titres d'Amenra, de les laisser entrer dans nos vies et y demeurer comme tous les autres morceaux l'ont fait par le passé (et continuent à le faire lors des concerts passionnés du groupe). Mais d'un autre côté, les plaies infligées par Mass V n'ont toujours pas cicatrisé, elles démangent toujours et certaines ont même été élargies par les différentes interprétations scéniques  du groupe ces dernières années : de performances et enregistrements acoustiques, en collaborations avec d'autres artistes de la même obédience, Amenra ne s'est jamais retiré, n'a jamais été absent.

Dans tous les cas, que vous soyez prêts ou non, Mass VI est bel et bien là, et plus encore que les albums précédents d'Amenra, il met en valeur ces fameux contrastes de façon profondément touchante. Le calme étrange qui baigne les premières minutes de Children Of The Eye annonce une véritable tempête et les neuf minutes explosives, cathartiques de ce titre d'ouverture contiennent les émotions les plus remaquablement disparates que nous attendions de la part d'Amenra. Des riffs colossaux nous font trembler jusqu'aux tréfonds de nos êtres, tandis que le chanteur Colin H. Van Eeckhout hurle à l'agonie, à un point tel que nous pouvons l'imaginer sur scène, se griffant, dos au public, sous un spot borgne, mettant ses sentiments à nu et paradoxalement enfermé en lui-même, terriblement seul. “Je n'ai même plus d'ombre, la lumière est trop intense” crache-t-il. Lorsque c'en est presque trop à supporter, un rayon de lumière apparaît, la rage sonore s'apaise brièvement, les guitares cessent le feu pour quelques secondes, et Colin semble nous chanter une berceuse, comme il l'a fait dernièrement avec son projet solo CHVE, “une larme à la fois” ainsi qu'il le murmure doucement. Si le propos n'a rien à voir, l'intensité reste la même et la chanson continue jusqu'à ce que tout reprenne feu une fois encore. Seules les quelques secondes parlées d'Edelkroone pouvaient succéder à cela, quelques secondes de répit éparses avant que le groupe ne se remette à creuser une balafre dans nos coeurs avec Plus Près De Toi. Trois titres d'ouverture, trois ambiances différentes, trois langues (anglais, néerlandais et français) mais un seul et même impact, extraordinaire. Et ce n'est que le début. Mass VI est un ascenceur émotionnel jusqu'à la dernière seconde, lorsque Diaken s'interromp brusquement en plein climax, au dernier souffle d'une vie qui rend l'âme.

Si chaque membre semble avoir été au bout de ses capacités physiques, Mass VI apparaît comme un réel effort de groupe, sans doute plus encore qu'auparavant. Le dévouement de Colin, Mathieu, Lennart, Levy et Bjorn à leur art les a amenés à rebattre les cartes du line-up traditionnel durant tout le processus d'enregistrement, sans cantonner l'un ou l'autre à tel ou tel instrument. Parmi plusieurs exemples de créativité exarcerbée et sans limite, le groupe explique que son bassiste Levy a écrit et interprêté de nombreuses parties de guitare, ou encore que son guitariste Lennart et son chanteur Colin ont tous deux joué de la basse, chacun puisant dans son inspiration et dans les circonstances du moment pour amener la musique vers d'autres dimensions et devenir bien plus que la somme de ses parties. Les guitares expriment ici un poids inimaginable, tant physique que spirituel, mais tissent également des mélodies de la plus extrême délicatesse. La section rythmique peut déclencher un orage de flammes ou rester dans l'ombre avec la même spontanéité naturelle, en fonction de ce que l'atmosphère requiert.

Comme toujours avec Amenra, tout est issu directement des âmes de chacun des musiciens, capables d'établir un lien plus profond avec leurs auditeurs que bien des groupes : un lien de coeur à coeur. Cette douleur, cette tristesse, et ces quelques moments de joie éphémère viennent tous de leurs coeurs. Ils sont tellement réels...
“Il nous a fallu quelques années pour trouver l'état d'esprit nécessaire à l'écriture d'un nouvel album. Des pièces musicales dont la création relevait de la plus impérieuse nécessité.”explique Colin. “Et puis, à un moment, nous avons eu besoin d'écrire. Trouver l'inspiration dans la dépression, la tristesse et le désespoir. Levy s'est enfermé quelques temps dans un endroit sombre, où il s'est isolé de tous pour écrire de nouvelles musiques. C'est le tout premier album du groupe pour lequel il compose, et il a imprégné le disque de tout son être. Lebon, notre batteur, célébrait la naissance de son fils, tandis que nous étions tous abattus par les cancers de sa mère et du père de Mathieu. En ce qui me concerne, mon fils a dû se faire retirer une tumeur à la tête. Cela m'a sérieusement secoué sur mes bases. Les aléas et les coups du destin... Là où il y a de l'Amour, il y a de la Douleur.” Pas d'amour sans douleur. Pas de vie sans trépas. Pas de lumière sans ténèbres. C'est le conflit qui est au coeur de Mass VI, un conflit au coeur de chacun de nous, au coeur de ce qui fait de nous des humains : vivre, aimer et perdre. Quelques pièces de musique qui arrachent du dedans de nos êtres cette ambivalence et qui l'exposent de façon tout à fait extraordinaire.

Difficile d'imaginer quelqu'un d'autre que Billy Anderson pour capturer ce monument sonore. Le légendaire producteur américain, déjà à l'oeuvre sur Mass V, est également derrière des albums tels que Through Silver In Blood de Neurosis, Dopesmoker de Sleep, Dopesick de Eyehategod, Entyme de Cathedral, ou Sounds Of The Animal Kingdom de Brutal Truth parmi bien d'autres. Il a été un des éléments décisifs de la construction de ces classiques. Mass VI a été enregistré dans l'Ardenne Belge, une région de forêts denses du sud-est du pays. Le groupe s'y est retrouvé piégé par la neige durant une semaine, et avoue avoir mangé la même soupe durant huit jours. Il y avait sûrement quelque chose dans cette soupe…

José Carlos Santos

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire